Robin Degron présente "Climat, environnement et santé en Méditerranée"
[Aude Guivarc’h pour JLE] (0:07 - 0:57)
Bienvenue sur Quoi de neuf d’auteur ?, le podcast qui donne la parole aux autrices et auteurs de JLE, éditeur reconnu en médecine, science et technique. Ensemble, nous allons découvrir leur parcours, leurs spécialités et surtout les messages qu'ils souhaitent partager à travers leurs ouvrages. Aujourd'hui, nous accueillons Robin Degron, directeur du Plan Bleu, observatoire basé en Méditerranée et rattaché au programme des Nations Unies pour l'environnement.
Géographe et ingénieur de formation, il est expert en développement durable en Europe et en Afrique. Il est également professeur des universités et magistrat à la Cour des Comptes. Merci Robin d'avoir accepté notre invitation, nous sommes ravis de vous recevoir dans ce nouvel épisode de Quoi de neuf d’auteur ?.
Votre parcours est très très impressionnant et encore ce n'était qu'une courte introduction. Est-ce que vous pourriez nous détailler davantage votre parcours professionnel mais aussi nous parler de vos motivations, de ce qui vous a amené à vous spécialiser dans ce domaine ?
[Robin Degron] (0:57 - 2:18)
En réalité, je suis le petit-fils d'un chasseur alpin et petit, j'étais souvent avec mon grand-père en forêt et c'est de là que me vient mon goût pour les questions d'environnement, de forêt, de développement durable. La forêt est une école du développement durable. Ensuite, j'ai développé un cursus fondé sur les sciences, l'École Nationale Générale des Eaux et des Forêts.
J'étais ingénieur des eaux et forêts sur le terrain et puis j'ai développé une thèse de géographie historique dédiée à la forêt française qui m'a fait basculer, j'allais dire, du champ des sciences de l'ingénieur au champ des sciences humaines et sociales. J'ai prolongé cette thèse par l'École Nationale de l'Administration, j'ai complété ma formation par une formation solide en droit, en économie, en relations internationales et questions européennes notamment. Et à travers ce parcours, j'ai intégré la magistrature du compte.
En fait, ma vraie identité c'est d'être magistrat des comptes, pas professeur des universités. Je ne suis que professeur associé des universités à l'université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Et au fil de ce cursus, je reste magistrat des comptes toujours, eh bien j'ai eu plusieurs positions à l'Office National des Forêts, au ministère d'Environnement, à France Stratégie, à la Cour des Comptes évidemment et puis récemment au programme des Nations Unies pour l'Environnement - Méditerranée.
Mais ce n'est, j'allais dire, qu'une étape de mon parcours.
[Aude Guivarc’h] (2:19 - 2:25)
Et est-ce que vous pourriez nous parler de vos missions, que ce soit au plan bleu ou plus globalement au quotidien ?
[Robin Degron] (2:25 - 3:36)
Mes missions sont doubles d'une certaine façon. J'ai une trajectoire professionnelle. Actuellement, je m'emploie à essayer de défendre l'environnement de la Méditerranée et à y promouvoir du développement durable.
Mais de façon plus durable, en réalité, je suis devenu d'une certaine façon, modestement, un expert du développement durable et de sa territorialisation. Et ma grande question, c'est comment concrètement, au-delà des grands principes évoqués par les chartes onusiennes et les objectifs de développement durable, comment on fait concrètement du développement durable à l'échelle d'une région, à l'échelle d'une commune, à l'échelle d'une parcelle. Et donc, j'ai ce souci d'intégrer, j'allais dire, à la fois le très global dans le très local.
De ce point de vue-là, mon inspiration vient du Sommet de la Terre de Rio de 1992. « Penser globalement, agir localement » pour faire en sorte d'améliorer la situation du développement durable dans tous ses piliers, environnemental mais pas seulement. Et en Méditerranée en particulier, j'ai souhaité y travailler pour bien intégrer l'idée que le développement durable, ce n'est pas que l'environnement, ce n'est pas les pôles, ce n'est pas l'Amazonie la Méditerranée, c'est environ 400 millions de personnes.
Donc il faut vraiment intégrer, non pas la question de sauver la planète, mais de sauver une humanité dans la planète.
[Aude Guivarc’h] (3:36 - 3:44)
Et vous avez mentionné précédemment que ce n'était qu'une étape. Est-ce que vous avez envisagé autre chose pour la suite de votre carrière ? Est-ce que vous avez des projets pour l'avenir ?
[Robin Degron] (3:44 - 4:25)
Oui, enfin, je veux dire, c'est une étape importante, intéressante, enrichissante, sur le plan de la diplomatie, sur le plan du management, sur le plan technique. Mais technique, ça fait écho à mes compétences passées aussi. Voilà, l'idée, c'est de continuer d'être utile.
Et j'essaie de servir ce principe de développement durable dans un monde compliqué, troublé, qui pense davantage à faire la guerre qu'à faire la paix avec son environnement. Donc voilà, c'est un challenge de long terme, mais que ce soit sur le développement durable en tant que tel, l'environnement, le territoire, l'Europe, les finances. Pour servir cette trajectoire de développement durable, plusieurs fers ou feux sont ouverts.
Et de toute manière, tôt ou tard, je reviendrai à la cour des comptes.
[Aude Guivarc’h] (4:27 - 4:44)
Vous êtes également auteur. On ne l'a pas encore abordé pour le moment, mais vous avez contribué à plusieurs ouvrages. Et votre dernière publication, donc Climat, Environnement et Santé en Méditerranée, vient tout juste de paraître chez Tec&Doc, une marque d'édition de JLE.
Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur cet ouvrage que vous avez rédigé ?
[Robin Degron] (4:44 - 7:24)
Oui, absolument. C'est un ouvrage de synthèse de mon parcours académique et de ma rencontre avec la Méditerranée. C'est un ouvrage qu'on peut résumer finalement autour de trois axes.
Le premier, c'est « penser la Méditerranée et le rapport au temps d'humanité ». Je me suis beaucoup inspiré de Ferdinand Brodel dans cet ouvrage qu'avait développé dans sa thèse d'État au XXe siècle, en 1949, une théorie des trois temps de l'histoire. J'ai essayé de prolonger cette théorie en fondant une théorie de ce que j'appelle les cinq temps de la biosphère, qui intègrent en réalité l'humanité, nos vies, nos sociétés, nos civilisations, sur un substrat climatique et géologique.
Et la grande idée du livre, qui est développée en première partie du livre, c'est que nous sommes solidaires de cette biosphère et que la géologie, concrètement, elle est active en Méditerranée. Des tremblements de terre, ça existe. Des tsunamis, ça existe. Et ça tue des gens.
Mais que ce qui est encore plus actif et plus structurel, c'est le changement climatique qui s'accélère en Méditerranée de l'ordre de plus de 20% par rapport à la moyenne monde. La Méditerranée est un hotspot du réchauffement climatique.
Et ce substrat de sciences naturelles qui évolue, de biosphère qui évolue, en fait, il va ébranler le haut de la pyramide. Il va ébranler nos vies, nos sociétés et nos civilisations. Et je m'appuie en particulier sur le cas un peu archétypal de l'agronomie.
Aujourd'hui, le blé en Méditerranée, la vigne en Méditerranée, l'olivier en Méditerranée, eh bien, les productivités sont très faibles et on n'y arrive qu'à bout de bras avec de l'irrigation. On irrigue la vigne, on irrigue l'olivier. Donc, en fait, la civilisation, ou les civilisations méditerranéennes, elles sont solidaires d'une forme d'effondrement. Il y a une accélération du changement climatique.
Le deuxième axe, c'est d'essayer de démontrer cela et de vous traduire comment le climat bouleverse le grand cycle de l'eau, bouleverse l'agriculture et, in fine, touche à notre santé. Et donc, c'est important de ce point de vue de là d'être avec John Libbey, puisque c'est un éditeur qui est à la fois scientifique, mais très ancré dans la médecine, de montrer que les questions climatiques, ce n'est pas que des questions environnementales, ce sont des questions qui nous touchent directement dans notre santé. Donc, il y a une vraie connexion environnement-santé.
Enfin, c'est le troisième axe du livre et c'est ainsi que j'ai obtenu d'ailleurs la post-face de mon ami Christian Estrosi. L'idée, c'est de dire « il faut quand même relever les manches et s'emparer de ces questions-là ».
Donc, le livre termine sur une pointe positive. On est en train de développer une stratégie méditerranéenne de développement durable. Les élus localement, notamment à Nice, sont en train de se mobiliser sur le terrain pour faire en sorte d'adapter leur territoire.
Donc, le livre ouvre sur une pointe d'espoir, mais c'est d'abord une mobilisation autour de ce concept des cinq temps de la biosphère et d'une civilisation méditerranéenne qui vacille.
[Aude Guivarc’h] (7:25 - 7:34)
Alors, vous avez dit que le livre se terminait sur une note positive, mais est-ce que vous auriez un autre message que vous souhaiteriez que les lecteurs retiennent après la lecture de votre ouvrage ?
[Robin Degron] (7:34 - 8:07)
Marcher à l'ombre. Marcher à l'ombre.
Le changement climatique, ça va être un dérèglement du cycle de l'eau et parfois trop d'eau à l'automne avec des événements torrentiels, mais ça va être aussi trop peu d'eau et trop de soleil l'été venu.
Et il va falloir se protéger du soleil, reconstruire de l'ombre, replanter des arbres. C'est très « jeunot », si je puis dire, comme message, de façon à se préserver dans le siècle qui vient des changements climatiques inexorables dans lesquels nous sommes embarqués. Donc, « marcher à l'ombre ».
[Aude Guivarc’h] (8:08 - 8:17)
Et pour revenir plus globalement au thème du développement durable, selon vous, quels sont les principaux problèmes environnementaux qui persistent encore aujourd'hui ?
[Robin Degron] (8:17 - 10:28)
Tous les défis qui ont été posés déjà en 1972 à la conférence de Stockholm demeurent. Les enjeux de pollution de l'air, les enjeux de pollution de l'eau, les enjeux d'érosion de la biodiversité à cause de l'urbanisation, à cause de l'agriculture industrielle, à cause de la surpêche. Tous ces enjeux demeurent et sont illustrés en Méditerranée, mais ailleurs dans le monde.
En réalité, le propos du livre est finalement assez universel en s'encrant dans la Méditerranée. Le changement, c'est qu'on prend conscience finalement depuis peu que le changement climatique dont on se dit qu'on pouvait le maîtriser en réduisant les gaz à effet de serre, en réalité, on ne le maîtrise pas.
L'augmentation des gaz à effet de serre et l'augmentation corollaire de la température de l'air et de l'eau est inexorable d'ici la fin du siècle. Donc, la nouvelle question aujourd'hui, c'est de s'adapter à ce que j'appelle « la guerre de 100 ans de l'atténuation » de façon très rapide, une forme de blitzkrieg de l'adaptation. Ça, c'est nouveau. Et c'est l'alerte que pose le livre.
Ça vaut en Méditerranée comme hotspot, mais en réalité, ça vaut partout dans le monde, en particulier dans la bande intertropicale, parce que la Méditerranée, c'est une chose, mais il ne faut jamais perdre de vue que c'est la porte d'entrée de l'Afrique et qu'en Afrique, vous avez sur la même latitude l'Asie, une grande partie de l'Amérique du Sud et que dans ces zones là, dans cette bande intertropicale, le changement climatique va causer des morts. Donc, on est vraiment dans quelque chose qui bouleverse notre perception des civilisations et notre survie même, en particulier dans ces régions.
Mais tôt ou tard, en latitude vers le Nord, vers l'Europe, on va être touché. Donc, autant anticiper, observer, aider le Sud, prendre des bonnes pratiques pour essayer, nous, de nous préserver le maximum possible, parce que le changement climatique, il est inexorable. On est embarqué, fin de siècle à l'échelle monde, sur un plus 3°C par rapport à 1900.
En France, ce sera plus 4°C. En Méditerranée, en moyenne, ce sera plus 5°C. Au sud de la Méditerranée, je pense à mes amis marocains ou tunisiens, ce sera plus 6°C.
Et ça, c'est gravé dans le marbre. Donc, c'est du « don't look up », et ben « look up ». Regardons en face de nous les défis qui nous viennent.
[Aude Guivarc’h] (10:28 - 10:31)
Est-ce qu'il y a un point qu'on n'a pas abordé, que vous souhaitez aborder ?
[Robin Degron] (10:31 - 11:08)
Non, mais merci à John Libbey et à son équipe de ce bon travail qu'on a fait ensemble, en essayant que cette alerte rouge sur la Méditerranée, elle soit aussi une alerte plus générale face à une humanité qui doit être et se sentir solidaire de sa biosphère et de son environnement. Il faut sortir de la logique cartésienne de « l'homme maître et Dieu des choses ». En réalité, l'homme est dans l'environnement et l'environnement est dans l'homme à travers sa santé. Donc, ce message, c'est d'avoir une vision holistique de l'humanité et de nous inscrire dans notre réalité naturelle, qui n'est pas hors de nous, qui est en nous.
[Aude Guivarc’h] (11:08 - 11:38)
Merci Robin d'avoir partagé avec nous vos expériences et votre expertise. Votre ouvrage permettra à nos auditeurs de mieux comprendre les enjeux actuels liés au développement durable, qu'ils soient professionnels ou simplement curieux. Quant à vous, chers auditeurs, j'en profite pour vous rappeler que vous pouvez retrouver l'ouvrage Climat, environnement et santé en Méditerranée sur notre site librairie.jle.com, ainsi que dans toutes les librairies, et nous vous donnons rendez-vous très bientôt pour un nouvel épisode de « Quoi de neuf d’auteur ? » pour découvrir le parcours d'un autre auteur de notre maison d'édition. Merci pour votre écoute et à très vite.