Hikikomori par Marie-Jeanne Guedj Bourdiau

Marie-Jeanne Guedj Bourdiau nous présente son ouvrage Hikikomori. Réparer l’isolement

[Aude Guivarc’h pour JLE] (0:07 - 0:22)

Bienvenue sur « Quoi de neuf d'auteur ? », le podcast qui donne la parole aux autrices et auteurs de JLE, éditeurs reconnus en médecine, science et technique. Ensemble, nous allons découvrir leur parcours, leurs spécialités, et surtout les messages qu'ils souhaitent partager à travers leurs ouvrages.

[Musique d’introduction] (0:22 – 0:25)

Pour inaugurer ce premier épisode, nous avons le plaisir d'accueillir Madame Guedj, psychiatre et pédopsychiatre qui s'intéresse aux phénomènes de réclusion sociale, notamment chez les jeunes.

Elle est l'autrice de l'ouvrage Hikikomori, réparer l'isolement, paru chez Doin, une marque d'édition de JLE. Madame Guedj, déjà un immense merci d'avoir accepté de participer à ce premier épisode. Avant de plonger dans le sujet de votre dernier livre, Hikikomori, réparer l'isolement, pourriez-vous nous parler un peu de vous, de votre parcours professionnel, et surtout des expériences marquantes qui vous ont menée à vous spécialiser dans ce domaine ?

[Marie-Jeanne Guedj Bourdiau] (0:54 - 3:02)

Oui, bonjour, merci beaucoup. Je vais vous répondre rapidement. Je suis psychiatre, j'ai participé à tous les grands mouvements qui ont eu lieu en psychiatrie au moment de la sortie des malades mentaux des asiles, de tous les changements qui ont pu faciliter, pensions-nous à ce moment-là, les choses.

Et puis, dans tout ça, pendant plus de 20 ans, j'étais cheffr de service des urgences psychiatriques. Et de là, il apparaissait des pathologies et des crises très extériorisées, très bruyantes, avec des cris, des passages à l'acte, et puis aussi, à l'inverse, des situations complètement à bas bruit, où on n'entend rien, on ne voit rien, et qui sont quand même des situations problématiques. Et ces situations problématiques nous arrivaient par les familles qui venaient dire « j'ai quelqu'un à la maison de proche qui est enfermé ».

Alors, à ce moment-là, ça pouvait concerner toutes sortes de choses, que ce soit une vieille personne, quelqu'un qui avait d'autres soucis psychiatriques, mais aussi les jeunes qui s'enferment, on ne sait pas très bien ce qu'ils ont, mais ils ne veulent pas sortir de chez eux. Et on ne sait pas s'il y a une maladie ou non. À force d'entendre ces parents, ces familles dire « mais qu'est-ce qu'on fait ? », au lieu de leur donner la réponse médicale habituelle « tant qu'on ne voit pas la personne, on ne fait rien », on s'est dit « il faut quand même les écouter, écouter la famille, et de là, trouver un levier pour accéder à ces jeunes invisibles ». Ça a été ça l'itinéraire. Donc, cette consultation famille dont je vous parle, on l'a créée il y a 20 ans déjà, et c'est toujours utilisé bien sûr parce que c'est très important.

[Aude Guivarc’h] (3:04 - 3:09)

Et qu'est-ce qui vous a le plus surpris ou interpellée dans vos premières rencontres avec ce phénomène ?

[Marie-Jeanne Guedj Bourdiau] (3:10 - 4:42)

Ce qui m'a vraiment surpris, c'est comment on peut rester sans faire de bruit et en souffrant sans le dire, alors que la société, la vie en France est assez active, il y a pas mal de médicalisation, de prise en charge, d'aide, mais on peut laisser quand même quelqu'un sans aide parce qu'il ne dit rien, il ne le demande pas, et personne ne se rend compte qu'il a besoin de quelque chose.

Donc c'est ça qui m'a le plus étonnée, et puis c'est l'ancienneté de ces histoires, c'est-à-dire que comme on s'habitue progressivement à avoir un jeune enfermé, parce qu'il n'est pas enfermé tout de suite, complètement, ça commence un peu, il ne va plus à l'école, puis il sort, et puis de nouveau il s'enferme, il ne veut pas voir telle personne de la famille, mais il veut bien voir les autres, il a moins d'amis réels, mais il a des amis virtuels, enfin il y a une sorte d'accoutumance progressive qui fait qu'on peut tomber sur des situations qui durent depuis 2, 3, 4, 5 ans, sans aller jusqu'aux excès que connaît le Japon, où ils parlent de l'enfant qui a 50 ans avec les parents qui ont 80 ans, ce phénomène-là, pour ainsi dire, inconnu en France.

[Aude Guivarc’h] (4:43 - 5:06)

D'accord. Comme je l'ai mentionné au début de notre échange, vous avez récemment écrit un livre intitulé Hikikomori, réparer l’isolement qui est paru chez Doin, et ce livre offre un regard approfondi sur un sujet encore peu connu du plan public, est-ce que vous pourriez nous en dire davantage, présenter votre ouvrage, et aussi quels objectifs vous aviez lorsque vous avez écrit ce livre ?

[Marie-Jeanne Guedj Bourdiau] (5:07 - 7:37)

Personnellement, ça fait un bon moment que je m'intéresse à ça, puisque la première fois que j'ai fait une communication à un congrès, c'était en 2008, en France, donc ça fait quand même longtemps.

Il se passe des choses dans le monde, il se passe des publications, et il se passe aussi le fait de montrer que le monde entier est touché par ce phénomène, ce n'est pas le problème de nos sociétés occidentales ou encore moins de la société japonaise uniquement. Et le fait que l'Afrique, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, bien sûr l'Amérique du Nord, l'Amérique du Sud, l'Europe, bien sûr, soient touchées, montre qu'il y a une nécessité de regarder de quoi il s'agit, quelle est l'ancienneté du phénomène, ou au contraire, qu'est-ce qu'il y a de nouveau par rapport à des phénomènes de société, et notamment l'Internet, qui n'est probablement pas la cause, mais qui contribue à maintenir le phénomène, parce que quand on est au fond de sa chambre et qu'on n'a rien à faire, il faut trouver quelque chose à faire.

Alors du coup, mon idée était de présenter un peu ce qui se dit un peu partout et de montrer que ce n'est pas le problème de telle famille, de tel milieu ou de tel pays qui a vraiment à s'interroger sur un phénomène de la mondialisation. Et l'idée étant de sensibiliser les professionnels qui ne sont pas toujours au courant, et on utilise le mot japonais Hikikomori parce que c'est facile à dire, mais on peut dire « repli à domicile », « retrait social ». Anciennement en France on disait « claustration », il y a des mots français qui existent, Hikikomori a le mérite d'indiquer la nouveauté du phénomène.

Donc c'est un peu pour les professionnels, et puis un peu aussi, bien sûr, ou beaucoup pour les familles, pour donner quelques pistes de réflexion, d'acceptation de la situation, d'accepter le jeune, d'accepter la situation pour qu'elle change, de montrer que la situation, on peut arriver à la changer, ce n'est pas de la magie, une fois une famille m'a dit « vous êtes une magicienne », non ce n'est pas de la magie, mais il y a moyen d'être sensible au fardeau supporté par la famille.

[Aude Guivarc’h] (7:38 - 7:46)

D'accord, et vous lorsque vous avez rédigé cet ouvrage, quelle a été la plus grande difficulté que vous avez pu rencontrer ?

[Marie-Jeanne Guedj Bourdiau] (7:46 - 8:30)

En fait, ce que j'ai trouvé un peu compliqué, c'est quand on renvoie les témoignages par exemple des familles, beaucoup de témoignages se ressemblent, les situations sont à peu près les mêmes, à quelques détails près, et or, bien sûr, comme dans toute situation humaine, il y a une singularité pour chacun, bien sûr. Et puis la difficulté, c'est lié au fait que ce n'est pas reconnu comme une maladie psychiatrique. Il n'y a pas un corpus psychiatrique constitué sur le sujet, avec des guidelines qu'on pourrait utiliser. Ce n'est pas comme ça. Et pourtant, c'est très riche d'espoir quand on peut s'en occuper.

[Aude Guivarc’h] (8:31 - 8:41)

D'accord, et que pensez-vous qu'il peut manquer encore aujourd'hui pour mieux comprendre et accompagner ces jeunes dans nos sociétés ?

[Marie-Jeanne Guedj Bourdiau] (8:41 - 10:09)

Évidemment, comme toujours, il y a une première question qui est la tolérance, c'est-à-dire que ce dont se plaignent les familles, c'est de ne pas savoir comment en parler, parce qu'un jeune qui a 20, 22 ans, 23 ans, qui n'a pas d'études, pas de stages, pas de formations. Enfin, comme on dit maintenant, les NEET, pas d'emploi, bien sûr, c'est un peu incompréhensible. Et du coup, les familles sont accusées, à l'intérieur même de la famille, par quelqu'un de la famille, disant « tu n'as pas fait ce qu'il faut » ou au contraire « tu en as trop fait », etc., et elles se renferment, et aussi, je crois qu'elles se renferment en étant convaincues qu'à elles seules vont devoir régler le problème.

Donc, c'est un petit peu l'isolement contagieux du jeune, de sa famille proche, d'un peu plus, où on ne peut pas en parler. Donc, la première chose, c'est d'admettre, de tolérer, d'accepter la situation comme elle est, ce qui n'est pas du tout une démission. Ce n'est pas parce qu'on accepte la situation qu'on dit « c'est comme ça, puis ça va être toujours comme ça ». Non, c'est parce que d'accepter la situation ne va pas la surcharger en anxiété, en culpabilité, en honte, dont va permettre qu'elle change.

[Aude Guivarc’h] (10:10 - 10:23)

Et du coup, le phénomène des Hikikomoris est souvent entouré d'idées reçues. Si vous, vous pouviez en changer une seule, laquelle choisiriez-vous, et surtout pourquoi ?

[Marie-Jeanne Guedj Bourdiau] (10:25 - 11:34)

J'ai du mal à en choisir une. Je dirais qu’il y a une question essentielle. Je ne pense pas que les jeunes choisissent de s'enfermer.

Je crois qu'à un moment donné, ça apparaît comme la moins mauvaise solution contre ce qui leur fait le moins mal, ce qui les fait le moins souffrir. Donc la première chose, c'est que ce n'est pas un enfermement choisi délibérément pour se rebeller, je ne sais pas comment, contre la société, même si après ils le disent. Mais dans un premier temps, je ne crois pas.

Une autre idée reçue que j'attribuerais plutôt au jeune, voire à sa famille, c'est que cette espèce de revendication d'autonomie, d'indépendance qui va arriver, « je suis indépendant puisque je suis dans ma chambre », bien entendu, n'est pas juste, puisqu'ils ne sont pas dépendants d'un employeur ou d'un bureau, mais sont entièrement dépendants des parents. Ça aussi, c'est une idée reçue. Ce n'est pas une indépendance, c'est le contraire.

[Aude Guivarc’h] (11:35 - 11:41)

Quel conseil vous donneriez aux familles qui se sentent démunies face à ce phénomène ?

[Marie-Jeanne Guedj Bourdiau] (11:42 - 13:24)

Bien entendu, ça c’est un petit peu on va dire supposons le problème résolu, c'est d'arriver à dédramatiser pour faire baisser la pression. Plus la pression et l'angoisse augmentent dans la famille, parce qu'il est dans sa chambre, parce qu'il ne mange pas ce qu'on veut, parce qu'il ne s'est pas inscrit sur Parcoursup ou pour faire un stage, plus la pression augmente, plus l'enfermement augmente. Ce n'est pas en faisant pression qu'on va aider.

Alors, pour les parents, c'est un peu compliqué parce que ça fait partie du rôle des parents de dire sans arrêt à l'enfant « tu dois faire ci, tu dois faire là, mets tes chaussettes, n'oublie pas de dire bonjour à la maîtresse », mais au bout d'un moment, il faut changer ça. Et ça, c'est un peu compliqué à admettre pour les parents. Je crois qu'il faut que les parents aussi pensent un peu à eux.

Que ce ne soit pas, comme je disais à une maman, « est-ce que vous avez des instants de bonheur en ce moment ? » Plus du tout, du tout, du tout. C'est à ça qu'une famille doit travailler et non pas être sous le boisseau de l'enfermement de l'enfant comme si on devait vivre ensemble à l'enfer.

Ça, c'est un autre conseil. Un autre conseil aussi, c'est de ne pas être seul, de trouver le moyen toujours de faire intervenir un tiers. Tout à l'heure, on m'a parlé d'une conseillère d'orientation pour aider à Parcoursup, d'une conseillère à Pôle emploi, d'un membre de la famille, et bien entendu, tout ce qui est de l'écoute et des soins psychologiques et psychiatriques, bien sûr.

[Aude Guivarc’h] (13:25 - 13:37)

Et à l'inverse, si c'est un jeune qui est en situation de réclusion sociale, qui écoute ce podcast, qu'est-ce que vous souhaiteriez lui dire, à lui, si vous pouviez vous adresser à lui directement ?

[Marie-Jeanne Guedj Bourdiau] (13:37 - 14:14)

J'aurais envie de dire : « votre situation n'est pas facile et vous le savez. Même si vous avez un peu honte de la situation et besoin un peu de prestance, comme si elle était défendable, que ce malaise, vous le sentez, il y a moyen de faire quelque chose sans pour autant être bousculé. On ne va pas changer les choses du jour au lendemain. Donc c'est être un peu plus attentif à vous-même parce que je crois qu'au fond, vous êtes très sévère avec vous-même et c'est ça qui vous maintient au fond de votre chambre. »

[Aude Guivarc’h] (14:16 - 14:35)

Merci beaucoup. En plus de votre travail en tant que psychiatre et autrice, vous êtes également la présidente de l'AFHIKI, l'Association francophone pour l'étude et la recherche sur les Hikikomori. Est-ce que vous pourriez nous en parler de votre association ?

[Marie-Jeanne Guedj Bourdiau] (14:35 - 16:32)

Eh bien oui, cette association a été créée fin 2021. L'objectif est un petit peu le même que celui du livre, c'est-à-dire attirer l'attention sur ce phénomène qui existe, qui existe en France aussi et même depuis longtemps, mais du fait de son invisibilité constitutionnelle est peu connue, peu parlée, peu répandue. Donc c'est pour dire « oui, ça existe », de permettre à des personnes de se retrouver là, que ce soit professionnels ou familles, et d'écrire des mails, de proposer quelque chose ou de demander une aide, d'un conseil.

De fait, quand quelqu'un est adhérent à l'association, il a accès à l'annuaire de l'association et il a accès aussi à ce que nous faisons depuis deux ans, à des séminaires. Nous sommes très contents dans ces séminaires de mélanger les familles et les professionnels. C'est extrêmement riche, plutôt que de retrouver que entre familles ou que entre professionnels. Ça fait vraiment beaucoup avancer les choses.

Et puis évidemment, une association, c'est un petit peu plus porteur, j'espère peut-être, au niveau des pouvoirs publics. C'est l'idée un peu de fédérer, de réunir toutes ces forces qui sont un peu disparates entre les familles et les professionnels France entière, voire pays francophones limitrophes puisqu’un de nos prochains exposés, c'est une équipe de Belgique qui va venir parler de l'enfermement à domicile des adolescents.

Voilà, c'est un peu l'idée de rassembler tous ces gens qui luttent contre quelque chose qui est quand même un auto-sabotage, un sabotage de ses propres potentialités.

[Aude Guivarc’h] (16:33 - 16:43)

Et donc du coup, vos actions et vos initiatives qui sont portées par l'AFHIKI, est-ce plutôt de sensibiliser le public ou d'accompagner les familles, vous diriez ?

[Marie-Jeanne Guedj Bourdiau] (16:45 - 17:15)

On participe à des colloques, on participe à des publications. Comme je vous disais, les séminaires, je suis très étonnée de leur succès. Il y a à peu près 40 personnes à chaque fois.

Et au fond, on nourrit notre réflexion interdisciplinaire et aussi ça permet à des gens de dire « donc je peux en parler, je ne reste pas avec mon fardeau à la maison ».

[Aude Guivarc’h] (17:17 - 17:25)

Et vous, comment vous percevez l'évolution du phénomène des hikikomori en France ? Est-ce que vous le voyez, vous, évoluer ?

[Marie-Jeanne Guedj Bourdiau] (17:25 - 18:05)

Aujourd'hui, dès qu'on en parle, on en trouve. Il y a une association de jeunes hikikomori qui s'est créée il y a déjà plusieurs années. Aujourd'hui, on fait des groupes de familles et de professionnels pour permettre de confronter les expériences et les demandes ne font que s'accroître. Et l'autre soir, il y a eu une famille avec un jeune enfermé qui a une vingtaine d'années et qui a dit « dès qu'on en parle, il y en a dans notre immeuble, il y en a à chaque étage ».

[Aude Guivarc’h] (18:07 - 18:21)

D'accord, oui, donc c'est un phénomène très, très répandu. Selon vous, quelles sont les prochaines étapes pour l'association ou pour vous personnellement dans la recherche ou la sensibilisation sur ce sujet ?

[Marie-Jeanne Guedj Bourdiau] (18:21 - 19:17)

Je crois qu'il y a beaucoup à faire dans le partage des expériences et le fait probablement d'impliquer différentes strates de la société, c'est-à-dire que c'est le milieu psy qui est aujourd'hui interpellé, mais il y a aussi l'école, le milieu social. Là, en ce moment, il y a un vrai problème pour toutes ces familles, c'est la modification de la loi sur le RSA qui inquiète beaucoup et comment on peut leur répondre et comment on a pour le coup, je ne sais pas, moi c'est du registre des travailleurs sociaux, donc c'est un petit peu fédérer plus de monde et je dirais avec beaucoup d'ambition aussi et comme l'indique la couverture du livre, un peu au Japon, les milieux artistiques aussi, puisque la couverture du livre est inspirée du Kintsugi de Watanabe.

[Aude Guivarc’h] (19:18 - 19:43)

Merci beaucoup. Madame Guedj, merci énormément pour cet échange très enrichissant. Je rappelle à nos auditeurs que votre ouvrage Hikikomori, réparer l'isolement, est disponible à la vente sur notre site librairiejle.com ainsi que dans toute librairie. Quant à vous, chers auditeurs, nous vous donnons rendez-vous très bientôt pour un nouvel épisode de Quoi de neuf d'auteur ? avec un nouvel auteur de notre maison d'édition.

Merci pour votre écoute et à très vite.

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